22 octobre 2011

Elections tunisiennes : le mauvais départ d'Ennahdha





Ennahdha a-t-elle perdu la foi au scrutin?


A la veille du démarrage des votes des tunisiens à l'étranger, la sortie de Rached Ghanouchi lors d'une conférence de presse sur une éventuelle fraude électorale surprend tout le monde. Tout en admettant que " l’opération électorale se déroulait normalement", il prévient (ou menace, selon les points de vue) de faire tomber le prochain gouvernement en cas de fraude. Se rangeant du côté des "gardiens de la révolution", sans vraiment y avoir contribué, Ghannouchi nous fait part de son manque de confiance dans le déroulement du scrutin. 


Ainsi, ni la bonne organisation de l'ISIE, ni la présance massive d'observateurs et de journalistes n'ont suffit à rassurer M. Ghannouchi.  Mais pourquoi un parti aussi populaire qu'Ennahdha et qui continue de bénéficier d'une couverture médiatique mondiale s'inquiète-t-il autant?


                            Aujourd'hui, clôture de la campagne d'Ennahdha à Ben Arous



Qui gouvernera après les élections? 


La portée du message de Ghannouchi à ses adversaires va plus loin que le soupçon de fraude. Le débat porte sur l'après élections, et la vision de Ghannouchi est ferme la-dessus: "peut-être que les autres partis minoritaires vont se réunir pour exclure le parti qui a le plus de voix, cela signifierait une confiscation de la révolution".  En clair, si elle remportait une majorité de voix, Ennahdha souhaite gouverner maintenant et tout de suite, quitte à ouvrir son gouvernement à d'autres partis. Mais le parti de Ghannouchi refuse le scénario d'une coalition progressiste majoritaire qui ne prendrait pas compte de son poids électoral. 


Changement de discours


Ghannouchi est-il mauvais joueur?

Le discours du Cheikh a bien évolué depuis quelques temps : alors qu' il niait il y à peine deux mois "toute intention de prendre le pouvoir", et qu'il disait "vouloir gouverner lors des élections qui suivront l’Assemblée Constituante", il déclare aujourd'hui que son parti "compte gouverner longtemps", et ce dès l'élection de l'assemblée.  


                        Aujourd'hui, clôture de la campagne du Kotb à El Menzeh


Ce changement de cap s'explique par la montée en force récente des partis progressistes et par le poids que pourrait peser leur coalition une fois l'assemblée élue. Sans parler des indécis qui, même si leur nombre est en baisse, sont encore une inconnue pour tous. Jusqu'au dernier moment, il restera beaucoup de tunisiens à séduire et à convaincre.  

De la victimisation à la fraude 

Tout porte à croire que, malgré son discours offensif et sa confiance affichée, Ennahdha s'agite et s’inquiète comme tous les autres partis, à l'approche du jugement des urnes. La course aux sièges a démarré fort avec le vote des tunisiens à l'étranger, dont la plus grosse communauté s'est déplacé en nombre et dans l'émotion dès les premiers jours du vote. Un signal fort envoyé par les tunisiens qui veulent faire entendre leur voix, et de bon présage pour le taux de participation en Tunisie. 

Ghannouchi qui prévenait d'éventuelles fraudes, qui voulait "qu'on juge son parti sur son programme et ses actes", et qui demandait que "cessent les procès d’intention", a l'air bien moins crédible face à la décision de l'ISIE de virer en une journée trois chefs de bureaux de vote soupçonnés d'orienter les votes en faveur d'Ennahdha (Ici et Ici et ), et suite à son rappel général à l'ordre

"Ceux qui font des promesses et qui les renieront seront démasqués et plus personne ne leur fera confiance », déclarait Ghannouchi à France 24 il y a quelques jours. Il ne croyait pas si bien dire. 

12 octobre 2011

Tunisie : schizophrénie électorale



La tournure qu'a pris l'affaire Nesma TV suite à la diffusion en dialecte tunisien du film franco-iranien "Persepolis" est révélatrice des maux de la Tunisie d'aujourd'hui, une Tunisie qui se cherche, toute convelescente qu'elle est du temps de la dictature.


Beaucoup de tension, de colère, de violence...et parfois de haine se sont cristrallisés, de part et d'autres, autour du tabou religieux de la représentation d'Allah, mais aussi du nouveau phénomène du port du voil intégral. Ces réactions exacerbées, de part et d'autre, révèlent le visage d'une société male dans sa peau et qui peine encore à s'accepter comme elle est : c'est à dire plurielle. Une société qui a aussi peur pour ses acquis identitaires, dont la définition varie selon les bords : conservatrice et arabo-musulmane pour les uns, progressiste et sécularisée pour d'autres.

Cet affront de la chaine privée Nesma- et son parti pri pour une certaine conception de la société tunisienne -  provoque des démonstrations de force, mais qui sont restées pacifiques jusqu'à preuve du contraire, d'une poignée de salafistes accompagnés de sympathisans conservateurs. Dans le même temps, on assiste à une levée de boucliers de la part des progressistes, avec parfois des messages un brin alarmistes quant au danger de la talibanisation imminente de la société. La réaction pitoyable du directeur de la chaîne en est un parfait exemple...Remarquez que des deux côtés, on a recours aux mêmes procédés : la dramatisation des faits et la persuasion par la peur du camp adverse...

Ces réactions prouvent que le chemin à parcourir est encore long, avant qu'une Tunisie plurielle ne trouve son équilibre.

C'est que naître, grandir et vivre dans une société cadrée, contrôlée, surveillée dans ses moindres gestes et expressions, et élevée dans la peur de la différence et la detestation des extrêmismes, laisse des traces chez tous et n'aide pas à la tolérance. Avant la révolution, les tunisiens étaient de deux genres : les "khobzistes", ces opportunistes tout lisses qui renonçaient à leurs convictions pour plaire à l'Etat, et les passifs, ces êtres creux qui préféraient ne croire en rien et suivre la mouvance. Aujourd'hui, on voit encore beaucoup de "khobzistes" et de passifs, mais on voit également des communistes, des salafistes, des laïcistes, des humanistes, des athés, des conservateurs etc. et la liste est longue.


Les tunsiens, de tous bords, semblent à peine découvrir le vrai visage de leur pays, sans le fard et loin des clichés mauves de la propagande de Ben Ali qui prétendaient que les tunisiens formaient un bloc monolitique et homogène composé de citoyens tolérants, modérés, ouverts sur l'occident, attachés à leur tradition et laïques...Les tunsiens, pour une bonne part, découvrent aujourd'hui leur société sous ses différentes facettes : du religieux radical, au laïque radical, en passant par une large frange composée de conservateurs et de modérés.


Les médias étangers, mais également pas mal de nos médias, semblent aussi être dans le même état de torpeur face à l'enchaînement rapide des évènements, et ne s'intéressent, par fénéantisme, qu'aux plus bruyants. Au lieu de chercher à comprendre les motivations profondes des uns et des autres, et leur réel impact dans la société, on nous ressort une bonne vielle recette benalienne éprouvée : la montée dangereuse de la fièvre salafiste qui menace tout le pays...et qui pourrait rapidement justifier tous les abus et les dépassements.


Les choses sont pourant un peu plus compliquées que cela, et la Tunisie n'est ni laïque et progressiste dans sa majorité, ni subitement envahie par les salafistes et par le voil intégral. C'est le fait de minorités, qui sont beaucoup plus visibles aujourd'hui, et determinées à s'exprimer et à réclamer l'espace qui leur a été confisqué. Quoi de plus normal dans ce cas que de voir des barbus et des conservateurs resurgir, à chaque fois que l'occasion s'y prête, en gardiens du livre et de ses règles sacrées? Ils sont dans leur rôle, comme leurs contradicteurs sont dans le leur quand ils défendent leurs propres convictions.

Mais quand, d'un côté, les uns dénoncent la pseudo influence sioniste et franc-maçonne qui agit sur les esprits des tunsiens pour justifier leur projet de société conservateur (pour ne pas dire rétrogade pour certains d'entre eux...) et appeler à la censure; et quand, de l'autre côté, on crie au ras de marée islamiste...on frise rapidement la caricature et on se trompe de combat. Car le seul et vrai enjeu du moment est de faire de nos premières élections libres un succès! Nos élus autront ensuite le temps de débattre de ces sujets, entre autres.  

Le danger de radicalisation de la société existe réellement en Tunisie, surtout en cette phase de transition, et comme c'est le cas un peu partout dans le monde. Les plus vielles démocraties occidentales font face aujourd'hui aux mêmes phénomènes de société, comme la radicalisation religieuse. Mais il ne tient qu'à nous de nous prévenir des mouvances violentes et radicales, en adoptant et en imposant un système démocratique et des institutions fortes, seuls romparts contre tous les extrêmismes. Agissons alors avant qu'il ne soit trop tard, au lieu de s'inquiéter!

Seul un vote massif, gage d'une assemblée fidèle à notre société, révèlera enfin notre vrai visage. Il faudra ensuite l'accepter comme il s'est dessiné... Les plus sceptiques diront que les votes traduiront une manipulation des masses. C'est possible. Mais si la participation au vote est forte, le poids des voix manipulées ne peut être que relatif. Cette affaire a eu le mérite de pousser les partis en compétition dans leurs retranchements et à les obliger à clarifier leurs positions respectives sur ces sujets brûlants, profitons-en alors pour affiner nos choix, pour voter en son âme et conscience et inciter ses proches à faire de même.



Crédits photo : FETHI BELAID/AFP

09 octobre 2011

Tunisie : le temps des urnes


A deux semaines du vote tant attendu et craint à la fois, la bataille électorale fait rage en Tunisie.

Attentes et espoirs

Attendu, parce que l'élection d'une assemblée constituante le 23 Octobre prochain représente un moment historique et une grande étape dans le parcours révolutionnaire dans lequel le pays s'est engagé. L'élection d'une assemblée nous éloignera alors du temps de la dictature, et nous rapprochera davantage de la nouvelle République tant espérée. Attendu, parce qu'une majorité de tunisiens aspirent à rompre, plus ou moins radicalement, avec l'ancien système corrompu et ses sphères clientélistes;  et à retrouver un semblant de stabilité avec des instances gouvernantes légitimes et réprésenttives de la volonté populaire.

Craintes et mauvais souvenirs...

Craint, parce que l'exercice est inédit, inconnu et non maîtrisé par tous les tunisiens. Les gens craignent que la bataille de programmes et de propositions en cours ne se transforme en bataille des rangées entre militants de différents courants à l'issue du scrutin. Ils craignent que les partis politiques ne soient de mauvais joueurs, si toutefois le résultat du scutin n'était pas à leur avantage. Ils craignent d'être décus, tout simplement, de la composition de la future assemblée. La récente alerte à l’attention des voyageurs américains émise par le Département d’Etat américain est venue renforcer ce climat de psychose...

Il faut dire que personne ne garde de bons souvenirs des dernières législatives pluralistes organisées en Tunisie en avril 1989, qui a consacré la popularité des islamistes dans plusieurs gouvernerats du pays, (avec des scores de plus de 25% réalisés à Bizerte, à Ben Arous, à Tozeur et Kébili...), et qui a généré une longue période de répression, de violences et d'autoritarisme partout dans le pays. Personne n'a oublié, aussi, la période noire vécue par les algériens voisins suite à la victoire du FIS aux législatives de 1991, et la guerre civile qui s'en est suivie.

Quelle future assemblée?

Tout le monde est donc suspendu à cette date fatidique du 23 Octobre, et se demande quelle sera la suite des évènements?

Dans le meilleur des cas, les gens espèrent la naissance de coalitions et la formation d'un certain équilibre des forces au sein de l'assemblée qui puisse favoriser le débat sans handicaper l'avancée des réformes. Le scénario qui inquiète est celui où l'on pourrait se retrouver avec d'un côté, un bloc hégémonique, et de l'autre, l'éclatement des sièges entre de multiples petites formations incapables de se regrouper, un schéma qui favoriserait les divisions et les disputes interminables. Des scénarios qui ne tiennent compte ni des centaines de candidats indépendants à l'assemblée, ni de la place qu'occuperont les "destouriens", braves héritiers des dictatures de Bourguiba et de Ben Ali, et qui font tout pour ocupper le plus grand terrain dans la future assemblée...

Pour l'instant, les principaux partis n'ont pas complètement rabattu toutes leurs cartes. L'individualisme l'emporte encore au sein des grandes formations comme Ettakattol, Al Kotb (Pôle Démocratique Progressiste, qui monte en force depuis un certain temps), le PDP, etc. Même si ce dernier parti commence à tendre la perche aux autres, se positionnant déjà comme leader de l'éventuelle future coalition...

Le parti Ennahdha, quant à lui, continue de développr une quasi-obssession du légalisme et du concenus, et de cultiver le tabou de la violence que certains lui prêtent. Plutôt que de parler de l'islam comme référentiel originel, ils préfèrent mettre en avant leur ancrage dans la morale et dans les valeurs arabo-musulmanes, se positionnant ainsi comme un parti conservateur, mais "civil" et "normalisé" dans le jeu démocratique. Ils s'enorgueillent de leur popularité supposée, avec comme seul crédo : "n'ayez pas peur de nous, on ne vous fera pas de mal" pour conquérir les voix les plus sceptiques.

Une chose est sûre, tout cela dépendera d'un seul facteur, le taux de participation à ce vote. Plus les tunisiens voteront en masse, meilleure sera la représentativité de la future assemblée, plus forte sera l'impulsion qu'ils pourront lui donner et plus grande sera sa responsabilité face à ce peuple qui n'aspire qu'à une seule chose, un meilleur avenir.



Source Image : AFP/FETHI BELAID